Du 7 au 11 septembre 2014, alors que j’étais journaliste à La Provence, j’ai suivi une équipe de salariés de la Société des eaux de Marseille, envoyée pour une mission humanitaire dans le camp de réfugiés syrien de Zaatari, en Jordanie. Quatre ans après, j’ai partagé des images de ce reportage qui m’a marquée sur mes réseaux sociaux. Pour ceux qui ont envie de le redécouvrir, le voici.
Plongée au coeur de l’un des plus grands camps de réfugiés au monde
Un boucher, un coiffeur, un glacier et même un magasin de robes de mariées. “Ici, c’est les Champs-Élysées, la rue principale du camp, où tout s’achète et se vend. Ce sont des légionnaires français qui l’ont baptisée comme ça, quand les premiers réfugiés sont arrivés dans ce camp jordanien”, indique Reihaneh Mozaffari, coordinatrice régionale. Plus de deux ans après l’installation de la première tente, c’est une véritable ville que découvrent Michel Valin, Jean Apicella et Sacha Ferrafiat, trois salariés de la Société des eaux de Marseille(Sem)
L’équipe est venue passer cinq jours en Jordanie, afin d’évaluer la situation des réfugiés syriens installés dans le camp de Zaatari. Ce camp, ouvert en août 2012, accueille une centaine de milliers de personnes qui ont fui la guerre civile syrienne.
Considéré comme l’un des plus grands camps de réfugiés au monde, l’accès à l’eau et l’assainissement y est problématique. C’est pour tenter d’améliorer cette situation que l’expertise des ingénieurs de la Sem a été sollicitée. Partis à la demande de l’ONU, les trois collaborateurs de la cellule humanitaire “Water help” de la Sem enchaîneront les visites et réunions, afin de recenser les besoins humains et matériels.
Et le lieu qu’ils découvrent n’a rien à voir avec l’image que l’on se fait habituellement d’un camp de réfugiés. Déjà, les chiffres impressionnent : au total, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) estime que depuis juillet 2012, 430 000 personnes ont transité sur cette zone de 530 hectares, ce qui en fait l’un des plus grands camps de réfugiés au monde. En septembre 2014, plus de 80 000 personnes, essentiellement des Syriens ayant fui la guerre civile, y ont reconstruit leur vie.
Au fil des mois, les tentes sommaires, mises à disposition par les ONG qui gèrent le camp, dont l’Unicef et Acted, sont progressivement remplacées par des bungalows que les familles bricolent pour gagner en confort. Parabole, machine à laver et même climatisation ont ainsi fait progressivement leur entrée dans le camp. “Au départ, le camp était censé n’accueillir des réfugiés que provisoirement, détaille Kilian Kleinschmidt, le “maire” de la ville, qui gère le camp pour le UNHCR. Mais au fur et à mesure que la situation se détériore dans leur pays, de plus en plus de Syriens se disent qu’ils seront amenés à rester”.
Pour l’instant, les ONG gèrent les besoins de base. Chaque famille reçoit ainsi 20 dinars jordaniens par personne et par mois pour se fournir en nourriture. Pour le reste, une économie informelle s’est rapidement mise en place, avec plus de 3 000 commerces recensés dans le camp alors que les réfugiés n’ont pas le droit de travailler en Jordanie. Les échanges de marchandise entre le camp et les locaux se font à l’entrée, sans plus de discrétion, et de nombreux réfugiés travaillent dans les villages et les champs alentours.
Enfin, Zaatari est le seul camp qui possède un réseau d’électricité et deux supermarchés, où l’on peut même payer par carte bancaire! Aujourd’hui, des aires de jeux pour les enfants ou encore des terrains de foot ont vu le jour. 15 000 enfants sont scolarisés dans des classes bondées, donnant du travail à 500 instituteurs. 3 000 Syriens travaillent également pour le compte des organisations humanitaires et des autorités.
“Je pense que c’est pour cela que même si ces gens vivent dans des conditions difficiles, la misère n’est pas omniprésente et les tensions ne sont pas exacerbées”, remarque Jean Apicella, adjoint au directeur des affaires internationales à la Société des eaux de Marseille. “La débrouille qui s’est mise en place semble maintenir une certaine paix sociale alors que dans certains camps, la seule chose que les réfugiés ont à faire, c’est attendre les distributions des ONG” compare Sacha Ferrafiat, technicien à la Sem.
80 000 réfugiés syriens reconstruisent leur vie à Zaatari
Un amas de rochers qui sert de toilettes à ciel ouvert, au beau milieu des tentes et des caravanes. C’est là que Marco Ferrario, architecte à l’IPA se voit déjà construire une ombrière, des gradins ou encore un jardin, pour permettre aux réfugiés de se retrouver, pour un thé ou un spectacle. En compagnie de Youssef, jeune réfugié syrien, cet expert, qui a notamment travaillé sur des bidonvilles, parcourt plusieurs districts de Zaatari pour tenter d’améliorer les conditions de vie. À mesure que le conflit syrien s’enlise, le défi du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés et des ONG présentes est de transformer Zaatari en une ville vivable, afin de limiter les violences entre réfugiés et contre les autorités du camp.
Car, si Marco Ferrario se promène aujourd’hui tranquillement dans le camp, ce calme apparent est à relativiser. “À mon arrivée en 2013, les manifestations contre les autorités étaient quotidiennes et on ne comptait plus les agressions envers le personnel des ONG, se souvient Kilian Kleinschmidt. Ces gens ont vécu des choses atroces dans leur pays et ils n’acceptaient pas de voir leur vie dirigée par les autorités du camp. Il a fallu du temps pour comprendre comment engager le dialogue avec eux et travailler ensemble pour améliorer leurs conditions de vie”.
Preuve que l’équilibre est fragile, en février dernier, une coupure d’électricité générale a ravivé les tensions, et en avril dernier, une émeute a même éclaté faisant plusieurs blessés parmi les réfugiés et les forces de l’ordre.
Rapidement repéré avec son appareil, Marco Ferrario se retrouve entouré de plusieurs adolescents qui veulent se faire tirer le portrait. « Eux, ce qu’ils voudraient le plus, c’est une piscine », traduit Youssef. Mais en attendant, pour passer le temps, ils traînent entre amis, et s’amusent à attraper et dresser des pigeons, un passe-temps habituel dans cette partie du monde. Youssef a des journées plus remplies. Debout dès cinq heures pour la prière, il s’occupe ensuite de sa famille, qui vient s’agrandir. « Je me suis marié il y a un mois. J’ai rencontré ma femme dans le camp et elle est enceinte».
« Il serait trop dangereux de rentrer en Syrie »
Youssef a même décroché un vrai contrat: il enseigne l’anglais à des adultes dans une école du camp. Pour arrondir ses fins de mois, il fait partie des traducteurs sollicités par les expatriés pour communiquer avec les réfugiés. Ce job lui permet de gagner environ 2 euros par heure.
« La vie est plus chère à Zaatari qu’en Syrie. À cause de tous les trafics, les prix sont très élevés». Ainsi, les caravanes mises à disposition gratuitement par les ONG se monnayent ensuite 500 dinars jordaniens (environ 550 euros) sur le marché noir. « Mon frère, qui est médecin dans le Golfe, nous envoie régulièrement de l’argent. Il m’a aidé à m’acheter ma propre caravane, car vivre sous une tente avec mes parents et mes deux frères et sœur, alors qu’on a toujours vécu dans une maison, c’était vraiment dur» . Comme beaucoup de réfugiés, il l’a ensuite aménagée car il sait qu’il n’est pas près de rentrer dans son pays.
« Quand nous avons fui, en février 2013, je ne pensais rester qu’un ou deux mois. Mon rêve, c’est de rentrer en Syrie, mais c’est encore trop dangereux». Sur la situation dans son pays, Youssef n’en dira pas plus. « Je ne lis pas les journaux, je n’aime pas la politique, tout ce que je peux vous dire, c’est que Bosra, ma ville natale, est détruite et qu’on ne peut pas rentrer».
Tous les jours, les postes de police voient pourtant défiler des réfugiés qui regagnent la Syrie. « Ils sont environ 110 000 à être rentrés. Mais les demandes de départ sont peu nombreuses car ces gens ne veulent ni d’Assad, ni des islamistes», résume Kilian Kleinschmidt, qui gère le camp pour les Nations unies.
Youssef, lui, rêve de l’Australie. « Je n’ai pas obtenu de permis pour m’y rendre, mais je vais multiplier les demandes. Sinon, j’essayerai un autre pays.»
Pourriez-vous vivre avec 40 litres d’eau par jour ?
Comme tous les jours, elles font la queue avec leurs bidons devant les réservoirs installés par Oxfam. Cette fois, la corvée d’eau se fait dans la bonne humeur, au milieu des rires d’enfants, même si ces petites filles ne perdent pas de vue le tuyau qu’elles se passent de main en main, pour assurer les besoins en eau de leurs familles.
Mais dans le camp de Zaatari, qui abrite 80 000 réfugiés syriens pour la plupart originaires de la région de Dara, “l’accès à l’eau est la principale source de tension ici, nuance un membre d’Oxfam. C’est la loi du plus fort. Les gens se précipitent pour remplir leurs bidons et les plus faibles, comme les veuves qui n’ont plus d’hommes pour les défendre, n’ont quasiment aucun accès à l’eau. Certains vont même jusqu’à s’approprier les réservoirs”
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Côté assainissement, les efforts des ONG présentes sur le terrain ont également été réduits à néant: “Les réfugiés ont pris tout ce qu’ils pouvaient dans les toilettes et douches publiques installées dans le camp, explique Reihaneh Mozaffari, coordinatrice régionale. Les enquêtes réalisées auprès d’eux montrent qu’ils ne veulent que des équipements individuels”. Quitte à devoir creuser une rigole et un trou qui collecte leurs eaux usées, à quelques mètres de leur tente, même si c’est répugnant et catastrophique d’un point de vue environnemental et sanitaire.
Une station d’épuration a bien été construite, mais elle n’est reliée à aucun réseau d’égout, et le peu de matières collectées par des camions cureurs ne peuvent pas la faire tourner. C’est pour aider les associations humanitaires, dont Oxfam et Acted, qui tentent tant bien que mal de gérer ces problématiques, que la Sem a dépêché une équipe d’experts.
“En tant qu’humanitaires, nous avons pour objectif de garantir la survie, pour permettre aux déplacés d’avoir le temps de reconstruire leur vie, résume Kilian Kleinschmidt. Mais au delà de l’aide d’urgence, qui est notre métier, nous n’avons pas toutes les compétences pour organiser une ville. C’est pour cela que nous avons fait appel à l’expertise d’entreprises comme la Société des eaux de Marseille”.
Un pays en déficit hydrique
Située dans une zone désertique, la Jordanie est l’un des dix pays les plus secs au monde. “C’est aussi pour cela que l’eau est un sujet de tension à Zaatari, rappelle Kilian Kleinschmidt. Les réfugiés viennent d’une région où l’eau n’est pas un problème, et ils ont donc du mal à accepter que cette ressource soit rationnée dans le camp. Mais c’est aussi une source de tension entre Syriens et Jordaniens, car ces derniers ont le sentiment que les réfugiés viennent pomper leur eau”.
Repères
80 040 réfugiés ont été recensés en juin 2014 dans le camp de Zaatari, soit 15000 familles originaires de la région de Dara, au sud de la Syrie, d’où est partie la contestation contre le régime de Bachar al-Assad en 2011.
500 000 dollars par jour: c’est ce que coûte la gestion de Zaatari. La facture d’électricité atteint 700000 dollars par mois.
700 000 réfugiés syriens vivent en Jordanie, soit près de 12% de la population jordanienne, sur 2,5 à 3 millions de réfugiés syriens dans le monde. L’Onu considère cette crise comme la plus importante en termes de déplacements de population depuis le génocide au Rwanda en 1994.
35 à 40 litres d’eau/jour. C’est la quantité d’eau distribuée à chaque réfugié, pour boire, faire sa toilette, laver la vaisselle, son linge, etc. C’est l’équivalent de 5 minutes de douche chez nous! Avant le conflit, les Syriens pouvaient utiliser de 70 à 145 litres d’eau par personne et par jour. À titre de comparaison, un Français utilise au moins 150 litres d’eau par jour pour ses besoins quotidiens.
Reportage initialement publié sur LaProvence.com